lundi 9 juillet 2007

Sérénade pour un coucou


Rahsaan Roland Kirk a attiré l'attention sur lui en jouant de plusieurs instruments à vent simultanément. Mais s'il l'a fait, ce n'est pas dans l'intention de se faire remarquer, il en éprouvait tout simplement le besoin. Aux Etats-Unis, les réactions du public et de la critique ont été du genre : "Qu'est-ce que c'est que ce clown qui joue de trois saxophones à la fois ?". Etant aveugle, il ne pouvait pas voir le visage stupéfait des spectateurs qui le découvraient pour la première fois. En Europe il a vraiment été écouté et apprécié à sa juste valeur.
Bien sûr, ce type de jeu implique des instruments trafiqués et une technique adaptée. Kirk a développé une technique proprement époustouflante, à base de doigtés ingénieux et de respiration circulaire. A François Postif qui lui demande comment il fait pour respirer, il répond : "par les oreilles". Le plus incroyable, c'est que cette technique ne se remarque pas de l'auditeur, on croit tout simplement entendre plusieurs instrumentistes là où il n'y en a qu'un !
De plus, la musique de Kirk, tout en étant très inventive techniquement, ne sort pas des limites du jazz mainstream post-bop ; il swingue toujours et ne flirte pas avec le free. Imaginez un artiste plus aventureux, comme Ornette Coleman, avec cette technique !
Roland Kirk est aussi l'un des rares flûtistes du jazz et, pour la petite histoire, c'est après avoir entendu "Serenade to a cuckoo" (1964, en écoute plus bas) que Ian Anderson se mettra à apprendre la flûte en autodidacte et formera Jethro Tull.

lundi 2 juillet 2007

Pannonisons Pannonica !


Mais qui est cette Pannonica dont on retrouve le nom dans une vingtaine de titres de jazz et que l'on voit au bras de Monk sur la photo ci-contre ? Une mécène ?
Oui mais plus que ça !
La baronne Pannonica de Koenigswater a donné beaucoup plus que de l'argent aux musiciens de jazz, elle leur a donné tout son temps, toute son admiration, tout son amour, et elle a souvent payé de sa personne. Parker, miné par la drogue, viendra mourir chez elle ; Monk y passera les neuf dernières années de sa vie, pratiquement sans sortir.
Un jour où Bud Powell, qu'elle hébergait alors qu'il était en pleine déprime, disparait, elle ratisse tout New-York pour le retrouver. Quand Coleman Hawkins est alité chez lui (il fait des malaises épileptiques et refuse d'être hospitalisé), elle le visite régulièrement et remplit son réfrigérateur.
Toutes les nuits elle fait la tournée des clubs de jazz au volant de sa Bentley et tous les musiciens l'adorent.
Un soir, elle se fait arrêter avec Monk. Monk, dans ces cas-là a toujours un comportement des plus suspects : il se pétrifie, refuse de parler et roule des yeux comme des boules de billard. Résultat : les flics décident de fouiller la Bentley, ils y trouvent de la marijuana. Nica décide de prendre sur elle l'accusation de possession de drogue et sera condamnée à trois ans de prison. Elle fait appel et sera finalement acquitée au bout de plusieurs années de lutte de ses avocats.
On peut dire que pour Monk elle est toujours là ; elle l'accompagne régulièrement dans ses tournées aux Etats-Unis et à l'étranger et sera à ses côtés pour ces longues dernières années ou il se referme sur lui-même. Et pourtant, le moins que l'on puisse dire c'est que Monk n'est pas à l'aise partout ! Quand on lui demande où il aimerait vivre il répond "A part New-York, le seul endroit tentant serait la lune."
En plus du célèbre "Pannonica" de Monk, en écoute plus bas( video tirée du film "Straight, No Chaser"), voici quelques autres titres en son honneur (pour les deux derniers, je ne suis pas très sûr) :
- Nica's dream d'Horace Silver
- Blues for Nica de Kenny Drew
- Nica's tempo de Gigi Gryce
- Thelonica de Tommy Flanagan
- Nica raga de Hugo Chavez Shankar
- Joy for Nica de Régine Desforges

dimanche 1 juillet 2007

Nous sommes là pour vous venir en aide


En 1960, Charles Mingus est à bout de nerfs, épuisé il n'arrive pas à dormir. Il va passer la moitié de la nuit à convaincre le portier de "Bellevue", le célèbre asile de fous de New-York de le laisser entrer pour qu'il puisse se reposer. "Si tu as mal aux dents, tu vas voir un dentiste ; j'ai pensé que quand on avait des problèmes avec sa tête, on venait ici."
A peine entré, on lui passe la camisole de force. Quelqu'un qui veut se faire interner lui-même, imaginez s'il est dérangé ! Le problème, c'est qu'on essaye de le soigner et qu'on ne le laisse pas dormir. Il n'a plus qu'une idée : en sortir !
A bellevue, où on ne cesse de lui répéter "nous sommes seulement là pour vous venir en aide", il va notamment rencontrer Bobby Fisher, le champion d'échecs, à qui il proposera de faire la classe à leurs co-pensionnaires en incluant des cours de claquettes par un type qui passait son temps à danser. Il y composera aussi "All the things you could be my now if Sigmund Freud's wife was your mother", un morceau qui approche du free, que l'on peut trouver sur l'album "Charles Mingus presents Charles Mingus", et dont le titre est déjà, à lui-seul, un trait de génie.
Plus tard, en repensant à ces quelques jours d'enfermement, il composera aussi "Lock'em up" que voici, que voilà :